Fabien Lafontaine

Agrégé de l'enseignement secondaire inférieur en français-histoire [ENCBW]
Licencié en arts de la scène [UCL-Centre d'études théâtrales]
Professeur à l'Institut Notre-Dame d'Arlon [Belgique]
fabien.lafontaine@inda.be

mardi 18 février 2014

Regarder le court métrage : Walking on the wild side (Abel et Gordon)


Regarder un court métrage
Walking on the Wild Side  
(2000 – Belgique – Fiction – 13 mn – Couleur – Film 35mm )


Le burlesque 
Les origines du cinéma burlesque se confondent avec celle du cinéma. On considère souvent L’Arroseur arrosé (1895) — baptisé aussi Le Jardinier et le petit espiègle — des frères Lumière comme le premier gag de l’histoire du cinéma et l’on peut en effet observer dans cette vue lumière les mécanismes rudimentaires d’un bon « burlesque »: un cadre et un acte quotidien (un jardinier arrose un bosquet), la lente préparation du gag au vu et au su du public (un gamin coupe l’arrivée d’eau avec son pied sur le tuyau), le moment de suspens et de jubilation pour le spectateur (le jardinier est interloqué et regarde l’embout de sa lance d’arrosage) et la violence du gag qui se ponctue  par une poursuite et une correction (l’eau jaillit sur le visage, le gosse s’enfuit et se fait fesser). 
Le burlesque, c’est la mise à mal d’un quotidien réglé, l’apparition anarchiste d’un élément perturbateur qui vient remettre en cause les fondements d’un réel souvent stéréotypé et qui contamine les normes et les signes rationnels par la fantaisie  d’un imaginaire ludique et catastrophique. 
A mettre en relation avec :



Le pliage du drap
Walking on the wilde side possède une séquence particulièrement révélatrice des stratégies du burlesque pour faire rire le spectateur.
Se retrouvant dans un lieu clos (l’appartement du héros) les personnages vont se livrer à un curieux ballet muet. La situation va se compliquer et se terminer par une invraisemblable dégringolade.

La séquence débute lorsque, intrigué par l’absence de la jeune femme, le héros se dirige vers la cuisine. On observe que les réalisateurs choisissent un long travelling arrière pour accompagner le personnage dans le couloir. Ce mouvement traduit son attente et son anxiété. Il freine l’action et prépare la brusque tourmente qui va suivre. Le tempo d’une séquence comique doit ménager des temps forts et des temps calmes. Ici, il est nécessaire de diluer l’action pour mieux mettre en valeur l’accélération des événements à venir. Après cette dilatation du temps, le rythme s’emballe. Une suite de plans rapides nous montrent le héros qui quitte précipitamment le cadre en plongeant dans le hors champ. Puis, il se cogne et arrache la poignée de la porte. La chute en arrière du personnage est redoublé par l’arrachement de la poignée. L’effet de panique généralisée est ainsi accentué.
Après cette accélération, une nouvelle étape des mésaventure du héros commence sur un mode plus calme mais tout aussi inévitable. Une nouvelle méprise inaugure la scène. Le personnage transforme son draps en paravent. Mais la femme de ménage, jouant naturellement son rôle, l’aide à le plier. On trouve là une logique propre au burlesque : un geste en appelle un autre mais jamais le bon. Comme souvent dans les films comiques muets, le choix de l’échelle des plans va mettre en valeur la prouesse gestuelle des acteurs. Le cadrage va servir discrètement le gag en épousant la progression de l’action.
L’action commence en plan de demi-ensemble lors de l’ouverture du drap. C’est d’abord le moyen de replacer les acteurs dans la situation initiale, de constater le premier niveau du gag. On retrouvera ce plan en milieu de scène. Puis l’échelle change, d’abord un plan américain. Ensuite, un plan très rapproché. Ironiquement, les plans s’amenuisent en même temps que le tissu.

Les plans et les motifs
On observe des répétitions de plans et de motifs : 
- les deux plongées du début et de la fin;   
- le poster des arbres et de l’arbuste;
- les prostituées derrière les vitres et le héros derrière celle de son balcon
- le motif des fleurs sur le drap et sur la robe de la jeune femme.

Un environnement satirique
Le personnage se révèle être un antihéros perdu dans un univers déréglé.
Le petit bureaucrate vit dans un monde aseptisé et réglé comme une horloge. Cet univers se réduit à quelques lieux rapidement esquissés mais qui comportent certains détails incongrus. Par exemple, le poster d’arbres dans la chambre du héros ou sa photo dans les toilettes.

Fantasme et catastrophe
Le propre du burlesque est de révéler les envies cachées des protagonistes. Souvent soumis à des pulsions les menant à la catastrophe. Le burlesque propose un traitement humoristique de situations parfois dangereuses, voire quelque fois mortelles. Il est fondé sur des éléments du quotidiens souvent hostiles.

Des sons à la rescousse
Le retour à l’enfance du héros (quand il est couché dans son lit) suppose une difficulté à s’exprimer qui caractérise bien le personnage du film. Bafouillant plus qu’il ne parle, le héros de Walking on the wild side, par ses multiples hésitations, se rapproche de figures comme Mister Bean. Des personnages qui miment plus qu’ils n’expriment. Ils ont beaucoup de difficultés avec les mots. Très peu de paroles dans le film, mais un jeu subtil de sons qui viennent souligner les actions ou les amplifier. Les sons sont essentiels à la tonalité comique du film qui en use comme des onomatopées en bande dessinée. Le vent qui fait claquer la porte, le lustre qui grince pour signifier la fuite du héros, les sons des gants gonflés, la chute de l’éponge dans le seau ou le verrouillage du balcon, ... ces bruitages sont comme l’expression du décor qui soulignent la débandade du personnage.

Catastrophes en série
Le monde décrit dans le film prend un malin plaisir à se jouer du personnage. Le héros ne cesse de tomber, de se heurter aux objets les plus anodins qui semblent se liguer pour créer une situation de plus en plus absurde et inquiétante. Ce court métrage joue sur une caractéristique du burlesque : le dérèglement du quotidien.
Le film se termine par une chute conjuguant chute du récit et chute physique qui rappelle les burlesques du cinéma muets. Le récit trépidant ne peut que se conclure que dans une catastrophe spectaculaire, ultime confrontation avec la dure réalité.

Le court métrage : Foutaises de Jean-Pierre Jeunet

Petit travail autour de Foutaises [pdf]. Un réel plaisir de discuter de ce que l'on aime et de ce que l'on déteste ...